Six mois après l’adoption de la loi pour une Ecole de la Confiance et six mois avant le début de l’examen parlementaire du futur projet de loi « 3D », la question de la différenciation territoriale scolaire surgit comme une évidence.
Colloque Éducation et Ruralités : différenciation territoriale scolaire, un levier d’émancipation pour la jeunesse rurale ?

1,6 million de jeunes âgés de 15 à 29 ans vivent en zone rurale. Comme le révèlent plusieurs études du CGET ou encore de la Fondation Jean Jaurès, ces jeunes font face à de nombreux obstacles pour se développer professionnellement : autocensure, offre académique limitée, opportunités d’emploi réduites, manque d’informations ou encore fracture numérique.
Parue le 20 novembre 2019, l’étude « Jeunes des villes, jeunes des champs : la lutte des classes n’est pas finie » de Salomé Berlioux (Chemins d’avenirs), Jérôme Fourquet (Ifop) et Jérémie Peltier (Fondation Jean Jaurès) a mis en lumière les trop nombreuses inégalités entre les jeunesses rurales et urbaines.
Au-delà des disparités en matière de confiance en soi (seulement 59% des jeunes ruraux déclarent avoir confiance en eux contre 72% des jeunes de la région parisienne), cette étude relève à quel point l’origine géographique impacte l’orientation professionnelle.
La question de la prise en compte de ces spécificités apparaît donc comme une évidence qui se manifeste par une production scientifique abondante, par des actions ministérielles ciblées ou
bien encore par la production d’œuvres littéraires considérant avec une acuité nouvelle la question de la ruralité et de l’école républicaine.
Une évidence aussi dès lors que l’on considère la justice territoriale comme nouvel axe de conquête du pacte républicain.

Déjà en 2012, Hervé Le Bras et Emmanuel Todd illustraient, dans le Mystère Français, la corrélation entre inégalités sociales et territoriales. Cet état de fait appelle des actions efficaces afin que chaque destin s’accomplisse selon ses moyens, ses capacités et ses volontés. En outre, pour que ce potentiel puisse se déployer pleinement, il est nécessaire de penser l’action publique sur les territoires ruraux selon une approche « cousue-main ».
C’est tout l’enjeu de la différenciation territoriale scolaire, qui a vocation à devenir un levier d’émancipation pour les jeunes ruraux, tout en relevant le défi de répondre d’une part aux spécificités de chaque territoire et, d’autre part, de maintenir le lien entre l’Etat et les territoires.
De ce fait, j’ai souhaité organiser à l’Assemblée nationale, le jeudi 13 février, un colloque en présence d’intervenants spécialisés sur ces questions afin de répondre à deux objectifs : réunir des experts reconnus sur ces enjeux pour apporter des réponses précises et dégager des pistes de propositions.
Propos introductifs
Il me faut remercier chaudement le Ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse Jean-Michel Blanquer et la Ministre de la Cohésion des Territoires et des Relations avec les Collectivités Territoriales Jacqueline Gourault pour leur présence lors de cette matinée et pour les éclairages précieux apportés à nos débats. Le corps de cette matinée fut composé des prises de parole de quatre spécialistes des différents angles de notre sujet :
✅ Salomé Berlioux, présidente de l’association Chemins d’avenirs et missionnée par le Ministre de l’Education nationale sur la large question des difficultés d’orientation des jeunes qui vivent sur les territoires éloignés des grandes métropoles.
✅ Pierre Mathiot, politiste français et directeur de Sciences Po Lille, chargé de mission à la réforme du bac et du lycée et co-auteur du rapport Territoires et Réussite des élèves, commandé et remis le 5 novembre dernier au Ministre Jean-Michel Blanquer.
✅ Marie-Blanche Mauhourat, Inspectrice générale de l’éducation, du sport et de la recherche, co-auteur du rapport « Mission Ruralité » commandé également par le Ministre de l’Education nationale et de la jeunesse.
✅ Jérémie Peltier, directeur des études à la Fondation Jean Jaurès, co-auteur de l’étude « Jeunes des villes, jeunes des champs : la lutte des classes n’est pas finie ».
Les intervenants

Jean-Michel BLANQUER
Ministre de l'Éducation Nationale et de la Jeunesse
Engagé dans une profonde transformation de l’Éducation Nationale, Jean-Michel Blanquer a, à plusieurs reprises, sollicité l’expertise des différents intervenants sur la question de l’organisation territoriale de l’éducation et sur les obstacles particuliers de la jeunesse rurale.
Jacqueline GOURAULT
Ministre de la Cohésion des Territoires et des Relations avec les Collectivités Territoriales.
Le projet de loi dit “3D” (Décentralisation, déconcentration, différenciation) pose aujourd’hui la question de politiques publiques plus adaptées aux territoires, interrogation pertinente également dans le cadre de l’Éducation Nationale.


Salomé BERLIOUX
Présidente de l'association Chemins d'avenirs.
Missionnée en septembre dernier par le Ministre de l’Éducation Nationale sur la question des difficultés d’orientation, Salomé Berlioux préside également Chemins d’avenir, seule association qui mentore et accompagne les jeunes issus de la France périphérique.
Il me faut remercier chaudement le Ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse Jean-Michel Blanquer et la Ministre de la Cohésion des Territoires et des Relations avec les Collectivités Territoriales Jacqueline Gourault pour leur présence lors de cette matinée et pour les éclairages précieux apportés à nos débats. Le corps de cette matinée fut composé des prises de parole de quatre spécialistes des différents angles de notre sujet :
Pierre MATHIOT
Politologue, Directeur de l'Institut d'Études Politiques de Lille.
Également missionné par le Ministre Blanquer, Pierre Mathiot co-rédigea avec Ariane Azéma le rapport “Territoires et Réussite”, rendu le 05 novembre 2019, dans lequel est mis en avant la nécessité de repenser l’imbrication entre politiques éducatives et d’aménagement du territoire.


Marie-Blanche MAUHOURAT
Inspectrice générale de l'éducation, du sport et de la recherche.
Co-pilote de la mission “Ruralité” de l’Inspection générale aux côtés d’Ariane Azéma, Marie-Blanche Mauhourat formula en 2018 des recommandations en termes de cadrage de la ruralité scolaire, de pilotage et d’organisation des écoles et établissements, et de politique d’accompagnement des élèves résidant ou scolarisés dans les territoires ruraux.
Jérémie PELTIER
Directeur des études à la Fondation Jean Jaurès.
Co-auteur de l’étude Jeunes des villes, jeunes des champs, Jérémie Peltier apporte un regard statistique et mesuré sur les inégalités de destin spécifiques rencontrées par les jeunes ruraux et sur leur difficulté à envisager l’avenir aussi sereinement que leurs homologues de métropole.

En introduction de notre matinée, le Ministre de l’Education nationale prit le soin de revenir sur les contours mouvants de notre problématique. En effet, la ruralité fait face à un premier état de fait, qui ne supporte aucune idéologie : une démographie décroissante. À long terme, Jean-Michel Blanquer évoqua le nécessaire questionnement sur la façon dont nous souhaitons investir notre territoire. Il rappela les objectifs déjà visés par les politiques publiques mises en place : permettre aux jeunes ruraux d’étudier là où ils sont et y garantir la qualité de leur parcours scolaire. Enfin, il esquissa les perspectives de travail à venir, afin qu’elles soient également le support de nos réflexions matinales.
« Intervention du Ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse »
Appelée de ses voeux par Jean-Michel Blanquer, une bienveillance vis-à-vis de l’école rurale s’impose comme préalable à notre réflexion. Salomé Berlioux co-fonda et co-préside l’association Chemins d’avenirs, qui accompagne et mentore les jeunes issus de cette France appelée « périphérique ». Avec 1000 élèves accompagnés cette année, Chemins d’avenir leur permet de lever les freins d’autocensure ou de difficultés d’accès à l’information qui les touchent.
Salomé Berlioux, dont la remise du rapport au Ministre Jean-Michel Blanquer est imminente, dresse trois axes prioritaires de travail, afin de garantir aux jeunes ruraux le même accès à l’orientation que dans le reste de la France :
– Un enjeu de représentation
– Un enjeu d’orientation, d’information et d’ambition
– Un enjeu de mobilité
L’étude réalisée par Jérémie Peltier, de la Fondation Jean Jaurès, avec Salomé Berlioux et Jérôme Fourquet, sondeur de l’Ifop, mesure de manière effective les disparités de perception et d’ambition entre jeunes issus de milieu rural et jeunes de la région parisienne. Les premiers éprouvent plus de difficultés à se projeter, à avoir confiance en eux, à accéder à l’information, à envisager une mobilité. Ces enjeux soulèvent des problématiques trop longtemps restées angles morts des politiques publiques. Le déploiement des campus numériques sur le territoire est une des réponses apportées aux questions de mobilité : grâce à la téléconférence, les étudiants lot-et-garonnais, par exemple, peuvent désormais suivre leur première année de médecine à Agen, en s’évitant le poids financier conséquent d’un logement étudiant.
À son tour, Pierre Mathiot, directeur de l’IEP de Lille, également pilote de la réforme du baccalauréat et initiateur des Parcours d’excellence, a introduit son propos par l’écueil qui consisterait à opposer les jeunesses. Faisant le lit de certaines idéologies, cette distinction ne peut s’avérer que contre-productive dans une logique de prise en compte globale des différentes difficultés sociales. Remis le 5 novembre 2019, le rapport Territoires et Réussite qu’il co-rédigea avec l’inspectrice générale Ariane Azéma, affirme la nécessité d’adapter les politiques publiques à un échelon plus fin, notamment grâce à différentes propositions, qu’il présenta lors de son intervention.

Parmi les idées avancées, l’utilisation d’indicateurs particuliers, comme l’indice d’éloignement créé par la DEPP, semble pouvoir être un des moyens d’une meilleure répartition des ressources. Afin de sortir de la binarité REP/non-REP qui ne comprend pas la pluralité des situations, Marie-Blanche Mauhourat, inspectrice générale de l’éducation, du sport et de la recherche, développa l’opportunité d’un affinement des critères au niveau académique. Fut également discutée la question du recrutement des professeurs en milieu rural, qui renvoie automatiquement à l’enjeu plus large du recrutement et de l’attractivité générale du statut d’enseignant. Enfin, la dynamisation des établissements ruraux soulève également la revalorisation chère au Ministre des internats, que Marie-Blanche Mauhourat traita dans ses différents travaux conjoints avec Ariane Azéma, également inspectrice générale.
« Prises de parole de Salomé Berlioux et Pierre Mathiot »
Les différentes littératures scientifiques de nos intervenants sur le sujet et les échanges nourris avec le public présent, composé essentiellement d’inspecteurs d’académie et membres de l’Education nationale, de représentants associatifs et de parlementaires, forment le socle à une réflexion étayée et à des propositions concrètes de politiques publiques englobant l’ensemble des difficultés sociales qui touchent la jeunesse française.
En conclusion de cette matinée, la Ministre de la Cohésion des Territoires et des Relations avec les Collectivités Territoriales Jacqueline Gourault est revenue sur son histoire « des ruralités » et sur le sens qu’elle souhaite leur donner notamment dans le cadre du projet de loi « 3D » à venir. Au coeur de ce texte, réside la question de la différenciation, l’idée de politiques publiques « cousues-main », à la maille des différentes collectivités. Ce concept prend une dimension certaine dans le cadre éducatif, notamment au vu des recommandations formulées par Pierre Mathiot et Ariane Azéma. Jacqueline Gourault apporta enfin son regard sur une école d’émancipation, rurale ou non, dont le lien avec les politiques d’aménagement du territoire doit être renforcé.
Alimentée par les interventions du public, la matinée fut riche en réflexion : je porte la conviction profonde qu’il nous faut penser de nouveaux dispositifs, impliquant notre éco-système éducatif mais aussi les acteurs de l’éducation populaire, afin de proposer aux 1,6 millions de jeunes qui vivent loin des métropoles françaises, les mêmes chances de réussite que chaque français.